Si vous vous intéressez à l’histoire de la littérature et à la façon dont certaines lectures façonnent notre regard sur le monde, alors le brillant ouvrage que la journaliste Émilie Lanez consacre au « vrai Hervé Bazin » est fait pour vous. On écrit « vrai Bazin » car si le nom de cette sommité du monde des lettres dans les années 1970-1980 vous est familier (il était invité par Bernard Pivot au moins deux fois par an), et si vous avez été marqué par la lecture de Vipère au poing, son roman écoulé à des millions d’exemplaires depuis sa parution en 1948, c’est que vous vous êtes fait berner, comme tant d’entre nous, par le « faux Bazin », c’est-à-dire l’écrivain.
Bazin, personnage double
Toute leur vie, ils furent deux. La version d’origine était un jeune homme instable et fourbe, menteur chronique et kleptomane (il volait ses parents, des demi-bourgeois de l’Anjou), un escroc qui était en outre brutal avec les femmes. Placé en asile, puis incarcéré, mis au ban par toute sa famille, ce Bazin-là se fabriqua donc, par vengeance, un double de secours : l’auteur (doué) qui allait oser mettre sur le papier les souffrances imaginaires de son enfance. Avec la complicité de Grasset, qui savait que la fausse confession de ce martyr en culottes courtes ferait grand bruit, Bazin « assassina » donc sa mère – non pas par le couteau, mais par la plume.
Ainsi naquit le personnage de « Folcoche ». Une invention sordide. Paule, la vraie mère de Bazin, était certes distante et froide, mais elle ne fut jamais violente. Et elle souffrit toute sa vie d’avoir été ainsi salie par ce fils devenu riche et célèbre, mandarin des lettres paradant dans les salons parisiens tout auréolé de son titre de président de l’académie Goncourt. Le voici, de manière posthume, démasqué par ce livre-enquête remarquable.
Folcoche, d’Émilie Lanez, Grasset, 2025.







