Kissinger décrivait le Bangladesh comme un « cas désespéré ». Or, depuis ce constat dressé au cœur des années 1970, l’espérance de vie y est passée de 45,8 ans à 69,8 ans. L’intérêt du livre de Kishore Mahbubani, diplomate et universitaire singapourien, n’est pas simplement d’expliquer ce phénomène. Il est de s’intéresser aux raisons qui ont conduit l’Occident à faire comme si le monde non occidental – asiatique principalement – n’était pour rien dans son propre essor et que sa montée en puissance n’impliquait pas une mise à jour radicale.
Arrogance culturelle
L’arrogance culturelle est la grande cause de l’aveuglement des élites occidentales, juge Mahbubani. Pour preuve, « beaucoup d’Occidentaux continuent à considérer que les Chinois sont victimes d’un régime communiste et répressif ». C’est plus compliqué, avance l’ancien président du Conseil de sécurité des Nations unies, lui qui ne voit dans la Chine ni une Corée du Nord ni même une RDA capitaliste, mais un pays entré « dans la période la plus glorieuse de ses 3000 ans d’histoire », comme le prouve son nouveau terrain d’excellence, l’innovation, jadis réservée aux seuls Occidentaux.
Une révolution « machiavélienne » attend l’Occident. Elle passera par la défense d’intérêts raisonnés, visant le bien-être de ses propres citoyens ; une approche au fond plus modeste que celle consistant à se poser en gardien du seul devenir possible et désirable. « Il faut constamment se battre pour voir plus loin que le bout de son nez », écrivait George Orwell. C’est, au fond, le grand mérite du livre de Mahbubani que de nous rappeler cette maxime.
L’Occident (s’)est-il perdu ? Une provocation, de Kishore Mahbubani, Fayard, 2019.







