Lire "Aliocha" de Henri Troyat

Les tourments de l’immigration, de l’intégration et de l’assimilation mis en scène

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1 décembre 2025

Les tourments de l’immigration, de l’intégration et de l’assimilation mis en scène
Les tourments de l’immigration, de l’intégration et de l’assimilation mis en scène

Photo : (DR)

Scrutées, quantifiées, analysées, l’immigration et l’intégration font vendre. Sur les étagères, les essais s’empilent, avec leur dose de lieux communs ou de manichéisme. Gauche et droite françaises s’étripent, sans être, le plus souvent, honnêtes sur ces sujets complexes. Est-ce à dire que l’on devrait davantage se tourner vers notre histoire littéraire pour mieux saisir les problématiques actuelles ? C’est ce à quoi nous invite Henri Troyat, avec son roman Aliocha.

Sous une apparente simplicité – l’amitié d’un Russe blanc émigré avec un jeune bourgeois bossu – se cache le noyau dur de ce qui fait l’immense majorité des hommes : l’appartenance à une nation. Ou à plusieurs, d’ailleurs. L’auteur sème des clés au fil des pages ; au lecteur de se débrouiller avec un trousseau bien garni.

S’adapter aux mœurs

Largement autobiographique, Aliocha met en scène la famille Krapivine, composée des parents, Georges et Hélène, et de leur fils. Le couple représente l’intégration réussie à la française, en ce qu’il a cherché à maîtriser la culture et à s’adapter aux mœurs du pays d’accueil. Cependant, tous deux restent des êtres en perdition, malheureux des événements qui se déroulent en Russie. S’ils ressentent de la gratitude pour la France, leur espoir est ailleurs : « Ce qui nous soutient, c’est l’idée que notre exil est provisoire », soupire le père.

Face à ses parents, qui parlent français mais pensent russe, rient russe, pleurent russe, lisent russe, le jeune héros se construit en miroir. Plus qu’un modèle d’intégration, il est un archétype d’assimilation. Au-delà de la reconnaissance d’Aliocha pour le pays qui l’a accueilli se crée un amour fou pour la patrie des droits de l’Homme, qui s’accompagne d’un rejet violent de la Russie. Pourtant, rien n’empêcherait Aliocha de vibrer pour Victor Hugo (« Je suis dans Victor Hugo jusqu’au cou ! C’est sublime ! ») et Léon Tolstoï, comme le fait sa mère.

Choc des générations

À la problématique de l’intégration/assimilation s’ajoute celle du choc des générations. Quand la mère souhaite préparer un repas russe à Thierry, l’ami d’Aliocha, ce dernier répond vertement : « Ah non, maman ! Surtout pas ! » Le héros veut apparaître comme un être indépendant. Puisque ses parents se « contentent » d’être un mélange consensuel d’amour de la France et de la Russie, alors il renie cette dernière.

Le cœur d’Aliocha est encore vert et veut fleurir trop vite. Il est convaincu que, pour devenir un homme, il doit affirmer son altérité et être français, rien que français : « Tournant le dos au mirage russe, il irait de l’avant sur la terre ferme française. » À travers sa quête d’absolu, il révèle surtout l’impossibilité de vivre en étant un être déraciné et la nécessité d’être un petit quelque chose dans un grand tout, un morceau de France, comme ses parents sont un morceau de Russie et de France entremêlées…

Publié il y a près de trente-cinq ans, Aliocha constitue un bain de jouvence intellectuel pour tous ceux qui croient toujours que la nation est un horizon désirable et un cadre émancipateur.

Aliocha, de Henri Troyat, Flammarion, 1991.

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Ella Micheletti-Huertas

Ella Micheletti-Huertas

Journaliste, elle a notamment écrit "Les Amours indélébiles" (Condorcet).

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