Insensiblement, l’arme nucléaire est redevenue un danger actuel. Pourtant, elle suscite des débats étonnamment sereins, certains assurant tranquillement que la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé, comme s’il ne s’agissait pas des prémices d’une catastrophe dantesque. C’est avec stupeur qu’une partie des humains observe le cours désastreux des événements en marche, tandis que d’autres y contribuent avec acharnement.
On est en réalité aveugle à la grande régression qui poursuit sa course planétaire. Cette grande régression est accentuée par la mondialisation du début du XXe siècle, qui a déjà produit deux guerres, chacune internationalisées, et menace à nouveau de se généraliser aujourd’hui.
L’avant-guerre des années 1930 était gangrenée par le pacifisme, celle-ci l’est par le bellicisme.
J’ai souvent signalé que l’histoire de l’humanité – devenue une depuis la mondialisation tout en étant de plus en plus diverse et conflictuelle – avait pris, en même temps que nous connaissions des progrès scientifiques et techniques, un tournant politique et éthique de plus en plus régressif.
Escalade ou dégringolade ?
Deux guerres nous assaillent désormais, en Ukraine et au Proche-Orient. Elles sont internationalisées, bien qu’elles demeurent encore régionales. En plus des angoisses qu’elles provoquent au-delà de leurs territoires, elles aggravent la grande catastrophe écologique que subit la planète, anéantissant en partie les efforts de résorption de cette crise. Il est d’ailleurs remarquable que la mondialisation économique ait entraîné la désunion des nations et favorisé la résurgence des puissances impériales.
Reste que la Russie a échoué dans sa tentative d’annexer l’Ukraine. Jusqu’à présent, elle n’a pu occuper que quelques territoires au-delà des provinces séparatistes russophones, qui, du reste, étaient en guerre contre Kiev depuis 2014. On voit mal comment une paix juste pourrait remettre ces régions sous la coupe d’un État ukrainien qui a banni la langue russe, sa culture et sa musique.
Comme je l’avais déjà indiqué dans mon livre De guerre en guerre (éditions de l’Aube, 2023), cette paix juste devrait asseoir l’indépendance politique et militaire de l’Ukraine avec des garanties à négocier (neutralité protégée ? intégration dans l’Union européenne ?). Elle confirmerait aussi la russité des provinces séparatistes et accorderait un statut à la Crimée qui, en 2014, comptait sans doute plus d’un million de Russes, près de 400 000 Ukrainiens ainsi que 300 000 Tatars, premiers habitants dont la majorité furent déportés par Staline.
Une telle paix est possible tant que les forces en conflit sont plus ou moins équilibrées et qu’aucune n’est contrainte à la capitulation. Donc elle est encore concevable au moment où j’écris. Mais cette possibilité disparaîtra avec l’internationalisation de la guerre – les escalades sont des dégringolades.
La bataille des empires
Les médias, qui analysent ce conflit de manière unilatérale, ignorent que l’Ukraine est un enjeu géopolitique entre les empires américain et russe. Le but actuel, parfois avoué, de Washington est d’affaiblir durablement la Russie, qu’elle soit poutinienne ou non. Par ailleurs, les États-Unis ont déjà satellisé économiquement, techniquement et militairement l’Ukraine, laquelle serait comme un pistolet braqué sur la frontière russe si elle passait sous la coupe de l’Otan.
Dans le même temps, le spectre du péril russe a masqué la suzeraineté américaine sur l’Union européenne. C’est précisément en mettant fin à cette vassalité que Donald Trump la fait découvrir et même regretter à certains, qui craignent désormais, encouragés par les discours médiatiques, de voir Poutine marcher sur l’Europe. Mais comment le pourrait-il alors que, on l’a vu, il s’est révélé incapable d’annexer l’Ukraine après plus de trois ans de guerre ?
L’urgence d’un compromis
Paradoxalement, les sanctions prises à l’encontre de la Russie ont renforcé son économie militaire : en plus des avions, drones et bombes, la fédération dispose désormais de missiles de plus en plus difficiles à intercepter. Pourtant, au lieu d’exhorter les deux ennemis à négocier, et à établir un compromis sur les bases que nous avons énoncées, les Occidentaux poussent à la guerre et contribuent à l’escalade.
Vladimir Poutine est un tyran cruel et cynique, mais l’argument selon lequel on ne pourrait négocier avec lui est dérisoire. Les gouvernements occidentaux n’ont-ils pas mené par le passé une politique d’alliance avec les tyrannies tsariste et stalinienne, des régimes totalitaires bien plus tentaculaires que ne l’est la dictature poutinienne aujourd’hui ?
Tel est le péril du moment. Sans compter l’aggravation constante de la crise globale de l’humanité, qui nous conduit aux catastrophes écologiques, politiques, militaires… Cette crise, nous devons essayer de la penser dans toute sa complexité. Et il nous faut agir dans l’incertitude, mais avec la volonté de sauver l’humanité de l’autodestruction.






